Ingrid Levavasseur, Gilet jaune de l’Eure, est tête de liste du RIC aux élections européennes 2019. (©Guillaume Quiniou)
« La Dépêche de Louviers, c’est quand même le centre de mon chez-moi et j’y tiens. »
C’est ainsi que commence notre entretien avec Ingrid Levavasseur, tête de liste « Ralliement d’initiative citoyenne » (RIC), mouvement composé de Gilets jaunes, pour les élections européennes de 2019.
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Ouvertement critiquée et attaquée pour cette initiative, cette mère de famille qui vit à Pont-de-l’Arche (Eure) avec ses deux enfants a accepté de répondre à nos questions. Pourquoi se présente-t-elle ? Dans quel but ? Comment se prépare celle qui a été l’une des figures du mouvement de contestation qui dure depuis le mois de novembre 2018 ?
Quand est née l’idée de mener une liste pour les élections européennes de 2019 ?
Ça fait quelques semaines qu’on m’en parle. Dernièrement, il y a eu des événements qui se sont passés dans ma vie de Gilet jaune et qui m’ont fait comprendre que c’était à moi de décider ce que j’avais envie d’envisager, et non pas au mouvement. Quoi qu’il advienne, je savais que ce serait mal pris. Je savais à quoi m’attendre et je prends le risque de m’engager.
Certains Gilets jaunes comme François Boulo estiment même que le Parlement européen n’a aucun pouvoir.
Oui, pour l’instant. Mais le but n’est pas d’aller au Parlement européen simplement pour y être. Le but est d’occuper l’espace en tant que Gilets jaunes, d’être un peu partout. Ce sont les premières élections qui arrivent et on estime qu’il faut se positionner dessus. Il y a des choses à changer à tous les niveaux. Et on aimerait intégrer la politique en tant que citoyens. Il faut qu’on se structure.
La décision, je l’ai prise en mon âme et conscience, en l’ayant mûrement réfléchie.
Comprenez-vous la colère qui s’exprime par rapport à votre candidature ?
Je comprends leur colère, je comprends leur sensation d’être trahi. Mais je voudrais dire à ces personnes que je n’ai jamais trahi qui que ce soit. Je ne veux pas faire de mal aux autres. J’ai à cœur d’être bienveillante. La décision, je l’ai prise en mon âme et conscience, en l’ayant mûrement réfléchie. Les coups sont injustes parce que je suis une personne humaine et on ne peut plus sensible. Mais je ne vais pas céder aux menaces. J’ai toujours été une Gilet jaune et je le resterai. Les Gilets jaunes qui manifestent ne sont pas les 66 millions de Français. Notre liste s’adresse à tous les citoyens.
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Ces critiques, parfois violentes, vous atteignent-elles ?
Non, plus maintenant. On finit par se blinder. Les menaces, ça va un temps. Et les fausses informations qui circulent à mon égard, c’est n’importe quoi. Ça pollue l’esprit des gens. Je n’en tiens pas compte car ce n’est pas ça la vérité. Certaines choses qui tombent sont vraiment des aberrations. J’ai lu par exemple que je serais de la famille de Bernard Tapie. Bientôt on va dire que je ne suis pas mère de mes enfants. Je m’attends à tout. Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, on est critiqué. Mais à côté de ça j’ai des centaines de personnes qui m’envoient des messages pour savoir comment se rallier.
Comment allez-vous financer cette campagne ?
On appelle les citoyens à se rassembler derrière nous par Internet. Si 200 000 personnes mettent 5 € on aura les fonds pour réaliser cette campagne. Ce sera à ce moment-là que l’on saura si on pourra aller jusqu’au bout ou pas. Seule la participation des citoyens nous permettra de savoir comment nous serons soutenus. Et ce n’est pas une cagnotte, mais bien des dons, donc c’est légal.
Si nous sommes élus, nous reverseront chaque mois une partie de notre salaire à une association différente.
Quels sont vos engagements, vos priorités ?
Essentiellement de faire en fonction des votes des citoyens. Notre plateforme sur Internet permet de recenser toutes les revendications de personnes qui souhaitent proposer une solution. En fonction de ces revendications on pourra réaliser un programme. Je tiens à dire qu’en tant qu’éventuels députés européens, une partie de notre salaire [N.D.L.R. : qui s’élève, avant imposition, à 8 484,05 € brut par mois] sera reversée chaque mois pendant cinq ans à une association différente, dans le social, l’environnement ou le handicap.
Pensez-vous pouvoir agir sur le pouvoir d’achat en tant que députée européenne ?
Le but pour l’instant ce n’est pas de cibler quoi que ce soit en termes de pouvoir d’achat parce que je n’ai pas la réponse. Changer la vie des agriculteurs et participer à la lutte contre le changement climatique sont pour nous des choses importantes. On peut se tromper, on verra bien ce que les électeurs en pensent. La transition écologique passe aussi par l’Union européenne et il y a beaucoup de choses à faire en la matière.
Les intentions de votes qui vous sont créditées sont basses. Est-ce que ça vous inquiète ?
Il faut déjà savoir que les sondages ont été faits avant que nous déposions notre liste. Ils ne prédisent pas l’avenir. On ne prend pas de votes aux autres pour permettre à La République En Marche d’être en tête. Et Marine Le Pen est toujours deuxième, avec ou sans nous.
Il ne faut pas se mentir, on fait de la politique depuis deux mois.
Que répondez-vous à ceux qui disent que le mouvement des Gilets jaunes ne doit pas faire de politique ?
Tout le monde est libre de faire ce dont il a envie, de penser par soi-même, d’aller manifester ou non. Mais il ne faut pas se mentir. On fait déjà de la politique depuis deux mois. Là, avec le RIC, on s’ancre juste dans un parti pour pouvoir être entendus comme citoyens, c’est capital à nos yeux.
Elle déménagera de Pont-de-l’Arche si elle est élue
Vous pourriez devenir députée européenne. Comment vous préparez-vous ?
C’est un monde qui m’est inconnu, que je ne maîtrise pas, que je ne connais pas et qui m’a parfois un peu inquiété. Je l’envisage sereinement, je me dis qu’avant ça il y aura beaucoup de travail. Je garde les pieds bien ancrés dans la terre, non pas sur terre. Je sais pourquoi je le fais, pourquoi je me bats. Si on arrive à aller au bout de cette campagne et qu’on décroche des sièges au Parlement européen, je sais aussi que je devrais partir de la région. Je ne peux pas laisser mes enfants à Pont-de-l’Arche et être trois semaines à Bruxelles et une semaine à Strasbourg. Mais pour l’instant, la grande priorité, c’est d’être présente et de pouvoir répondre aux attentes des uns et des autres.
Comment ont évolué les choses pour vous ?
Vous m’auriez dit il y a trois mois que j’en serai là aujourd’hui, j’aurais dit que c’était impossible. Comme quoi les événements de la vie peuvent vraiment changer les choses. Je n’ai pas pour vocation au départ d’être à la tête d’une liste aux Européennes. Mon ambition à moi c’était plutôt de devenir infirmière SMUR [elle vient de quitter son travail d’auxiliaire ambulancière, ayant par le passé été aide-soignante, N.D.L.R.]. Ce n’est pas du tout une ambition, ni un plan de carrière. On savait très bien qu’on serait taclés sur ça et on s’y était préparés.
Propos recueillis par Pierre Choisnet