Environ 10 000 manifestants ont manifesté à Toulouse, samedi 19 janvier 2019. (©Maxime Gil / Actu Toulouse)
Samedi 19 janvier 2019, Toulouse a été la ville où la mobilisation des Gilets Jaunes a été la plus importante, avec environ 10 000 personnes dans le cortège qui s’est élancé depuis le centre-ville. Sur cet acte X, la Ville rose a, d’après les chiffres officiels, devancé Paris et ses 7 000 manifestants.
Déjà un record le 15 décembre dernier
Toulouse à la pointe de la contestation, c’est une constante depuis le premier samedi du mouvement des Gilets Jaunes il y a plus de deux mois. Le 15 décembre dernier, lors de l’acte 5, Toulouse avait déjà accueilli le plus grand rassemblement de Gilets Jaunes de France, avec 4 500 personnes…
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Que la Ville rose figure à l’épicentre du mouvement n’a rien de surprenant. De part son territoire et la sociologie de sa population, Toulouse était d’emblée un terreau fertile pour le mouvement.
Les inégalités, un terreau à Toulouse
En effet, si l’on prend en compte le territoire de la métropole de Toulouse, puis qu’on l’élargit à plusieurs bassins de vie situés à une distance d’une heure en voiture, l’ensemble de cette aire géographique cristallise une partie des problématiques portées par les Gilets Jaunes.
Même si la thématique des inégalités n’a pas été l’élément déclencheur de ce mouvement contrairement au ras-le-bol fiscal, les inégalités sociales que l’on peut observer à Toulouse et dans les villes alentours alimentent désormais la structuration des revendications de ce mouvement.
Car si Toulouse apparaît bien placée dans plusieurs classements nationaux, mettant en avant les métropoles attractives où il fait bon vivre et travailler, la réalité est bien plus nuancée. Clairement, tous les habitants de la Ville rose et de sa grande agglomération ne profitent pas de l’embellie économique toulousaine actuelle.
Comme Bordeaux (Gironde), parfois taxée d’exclure une partie de sa population en raison de la forte hausse des prix de l’immobilier, Toulouse et son agglomération produisent leur lot de déclassés.
L’Insee nous en dit d’ailleurs un peu plus dans sa dernière synthèse, en date de janvier 2019. Une synthèse qui porte sur « Une qualité de vie en Occitanie contrastée selon les territoires ». Selon cette synthèse, le territoire de la métropole toulousaine est en effet assez fracturé, comme peut l’être également celui de la métropole montpelliéraine.
À Toulouse, un « équilibre social fragilisé »
L’Insee relève ainsi :
Le niveau de vie médian des habitants de ces espaces « métropolitains » (21 725 euros annuels en 2015) est supérieur à celui de la région Occitanie (19 672 euros), mais tous leurs habitants ne bénéficient pas de la même qualité de vie au regard de cet indicateur. En effet, l’équilibre social est fragilisé par de fortes inégalités de revenus, avec la présence de populations vulnérables, comme les familles monoparentales, potentiellement exposées à une certaine précarité financière.
« C’est le cas en particulier dans les quartiers de la politique de la ville, qui constituent de vraies poches de pauvreté au sein de ces espaces très urbanisés. Dans ces deux bassins de vie vécus autour de Toulouse et de Montpellier, le revenu disponible plafond des 10 % des habitants les plus pauvres est quatre fois inférieur au niveau de vie plancher des 10 % des habitants les plus riches. Par ailleurs, une famille sur dix vit dans un logement trop petit, soit 1,5 fois plus que dans l’ensemble de la région ».
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La production de ces inégalités est « dopée » par l’étalement urbain qui s’est accéléré depuis la fin des années 80.
Une agglo qui s’étale, des salariés s’éloignent
Si l’on élargit le spectre géographique, les territoires situés autour de Toulouse cristallisent bel et bien certaines problématiques centrales du mouvement « canal historique » des Gilets Jaunes.
En premier lieu celles liées à la hausse des carburants qui a catalysé l’exaspération dès octobre 2018.
Dans l’agglomération toulousaine, le manque de transports en commun attractifs rend l’usage de la voiture obligatoire pour se déplacer.
En 2014, selon l’enquête Ménages Déplacements effectuée sur l’agglomération, le nombre de déplacements quotidiens en transports en commun est par exemple très majoritairement inférieur à 0,25 pour les personnes vivants dans l’ouest toulousain. Dans une commune comme Cornebarrieu (Haute-Garonne), ce sont presque 88% des actifs de la commune qui utilisent leur voiture pour leurs trajets selon des chiffres diffusés par Toulouse Métropole…
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Un usage récurrent qui plombe notamment le pouvoir d’achat des habitants qui vivent en deuxième couronne de l’agglomération.
Là aussi, l’Insee apporte des données nouvelles dans sa dernière synthèse :
Les bassins de vie vécus situés à la périphérie du Toulousain regroupent 440 000 habitants, soit 8 % de la population régionale, répartis sur 9 % de sa superficie. Les habitants y sont plus souvent en emploi qu’ailleurs et bénéficient d’un niveau de vie élevé et d’un accès rapide aux services… Beaucoup d’actifs y sont aussi éloignés de leur lieu de travail, ce qui implique de longs déplacements quotidiens, effectués principalement en voiture. Ces temps passés en transports empiètent ainsi sur le temps de loisirs et la vie familiale : 4 actifs sur 10 résident à plus d’une demi-heure de leur lieu de travail aux heures creuses (2 sur 10 dans l’ensemble de la région), ce qui signifie souvent beaucoup plus, du fait de la saturation des réseaux routiers aux heures de pointe.
Les moins aisés migrent en deuxième couronne
Dans cette étude, l’Insee parle « d’un niveau de vie élevé » pour les habitants de la périphérie. Cela dépend en fait de quelle périphérie l’on parle.
Sous la conjugaison d’une politique d’étalement de l’agglomération assumée par les élus, du désir des habitants de posséder leur pavillon avec jardin et de la hausse du prix de l’immobilier, les habitants ont pris le parti de s’éloigner de la métropole centre se retrouvant jusqu’à 50 kilomètres de Toulouse et donc le plus souvent de leur lieu de travail. Souvent, ils s’implantent dans les villes et villages situés le long des autoroutes construites en étoile autour de Toulouse, depuis le début des années 80.
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Ce phénomène s’est accentué depuis la fin des années 1990 et notamment au milieu des années 2000 comme le montre cette carte issue des données de l’Insee et produite par Françoise Desbordes dans un article intitulé « Cartographier l’évolution de la périurbanisation autour de Toulouse ».
Typologie de la répartition des classes socioprofessionnelles en 2006 dans le midi toulousain, population résidante de plus de 15 ans (©Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest)
Des choix qui ont facilité l’accession à la propriété de nombreuses familles mais qui, quand le prix du carburant s’élève comme ces derniers mois, met ces familles dans le rouge sur le plan financier.
Sur les revendications de la baisse des taxes sur le carburant et une demande de hausse des salaires, ces habitants ont pu se greffer aux cortèges successifs des Gilets Jaunes à Toulouse et ont sans aucun doute été rejoints dans cette dynamique par des habitants des villes satellites de l’ex-région Midi-Pyrénées. Des villes parfois en déclin sur le plan industriel, qui ont du mal à créer des emplois et dont les habitants viennent de plus en plus travailler à Toulouse.
Plus de monde à Toulouse, moins en région
Au début du mouvement, les actions ont de fait été nombreuses dans l’ensemble de ces communes. Le 15 décembre dernier, lors de l’Acte V, des actions diverses avaient eu lieu dans des villes comme Foix, Albi, Auch, Pamiers, Tarbes, mais aussi dans toute la région sous forme de blocages de péages, d’opérations escargot.
Dans ces villes « satellites » à Toulouse vit une classe moyenne assez importante.
De fait, c’est surtout de ces villes et villages situés en territoire périurbain, où réside une classe moyenne importante que la mobilisation de la région toulousaine est partie.
Deux mois plus tard, alors que les revendications des Gilets Jaunes se sont structurées et multipliées, ces Gilets Jaunes manifestent toujours dans les villes moyennes d’Occitanie, comme à Foix et à Albi mais l’action se concentre désormais au centre-ville de Toulouse, qui est bien devenue le réceptacle de la mobilisation sur l’ancien territoire de Midi-Pyrénées. Toulouse est devenu comme Paris l’a été au mois de décembre, une loupe grossissante de la mobilisation.
Avec l’abandon progressif des ronds-points, la fin des blocages durs de raffinerie et de dépôts comme la Socamil et Logidis et la migration progressive des manifestants vers le centre-ville de Toulouse, le mouvement des Gilets Jaunes a mis en avant d’autres revendication que la lutte contre la hausse des carburants et le ras-le-bol fiscal.
Ainsi sont apparues les demandes autour du Référendum d’initiative populaire (RIC), la volonté de dénoncer les inégalités sociales, mais aussi la fracture territoriale en Haute-Garonne et en Occitanie, avec le déclin des services publics dans des territoires comme le Haut Comminges et le Volvestre.
Forte présence des retraités et des femmes dans les cortèges
Dès le départ la mobilisation a été forte à Toulouse, car elle a rapidement capté de nombreux retraités venus protester contre l’abaissement du seuil d’annulation de la CSG et la baisse effective de leurs pensions de retraites. Dès le 17 novembre il étaient nombreux à venir manifester à être venus participer aux actions de blocage en périphérie de Toulouse. Ils étaient également très présents sur les journées suivantes de mobilisation.
Une mobilisation peu surprenante. A Toulouse, les retraités sont toujours très mobilisés, il suffit de se souvenir comment la réforme des retraites avait mobilisé en masse les Toulousains en 2010. À l’époque, des centaines de milliers de manifestants s’étaient retrouvés dans la rue contre le projet porté par le gouvernement de François Fillon.
Nul doute que cette problématique a capté une part de la population sur l’ensemble du territoire d’Occitanie.
À Toulouse, les femmes sont fortement représentées dans les cortèges des Gilets Jaunes et ceci depuis le départ. Cette mobilisation des femmes, plus importante que lors de mouvements sociaux précédents, découle notamment de leur plus grande précarité économique. Des marches de femmes leur permettent de mettre en lumière les problèmes spécifiques traversés par les femmes, chômage important et salaires bas tout en défendant les revendications communes à l’ensemble du mouvement.
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Retraités, femmes, salariés : ces manifestants ont vu le mouvement se radicaliser dans la Ville rose.
À Toulouse, une violence accrue au fil des « Actes »
Dès l’Acte III des Gilets Jaunes à Toulouse le 1er décembre, le cortège toulousain a en effet pris une tournure plus violente, avec des affrontements à Jeanne d’Arc en fin de journée. Depuis cette date, le centre-ville de Toulouse et certains quartiers faubourgs ont immanquablement fait l’objet de violences répétées.
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L’acte IV du mouvement a vu les violences démarrer dès le début du défilé. Pendant plusieurs heures, Toulouse a été l’objet d’affrontements comme la ville n’en avait plus vu en centre-ville depuis la journée des barricades du 11 juin 1968.
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Barricade montée en pleine rue, quartier Saint-Cyprien à Toulouse lors de l’acte IV des Gilets Jaunes le 1er décembre :
Depuis le mois de décembre, chaque samedi est synonyme de violences au centre-ville de Toulouse. Comme le 8 décembre dernier dans le quartier Saint-Cyprien (©Archives Actu Toulouse)
Chaque samedi, le rendez-vous des casseurs
Désormais, le centre-ville de Toulouse est visiblement devenu le rendez-vous de casseurs qui se sont greffés aux cortèges successifs. La préfecture en a recensé 500 dans le cortège du 19 janvier. Des casseurs qui s’attaquent systématiquement aux banques et très souvent à des agences immobilières.
Il est cependant bien difficile de déterminer quantitativement d’où viennent précisément ces manifestants radicalisés qui pourraient tout aussi bien être issus des réseaux d’extrême-droite et d’extrême-gauche de la Ville rose.
Les deux mouvances sont bien présentes dans les cortèges. Les attaques de banques et certains slogans anticapitalistes scandés dans les rues ou tagués dans le cadre des manifestations, tendraient à montrer que la mouvance d’extrême gauche a fait son nid. Une mouvance qui avait été active dans le blocage de l’université Jean-Jaurès au printemps 2018.
Bien difficile également de dire quelle part des Gilets Jaunes déjà présents le 17 novembre pourrait s’être « radicalisée » au fil des semaines. Une radicalisation des mouvements de contestation qui monte depuis plusieurs années à Toulouse.
À Toulouse, des mouvements de plus en plus durs
Toulouse a en effet déjà connu des troubles similaires dans le cadre de défilés antérieurs, mais jamais de façon aussi répétée et sur une si longue durée.
Ces dernières années, la Ville rose est le siège de mouvements durs, locaux et débouchant sur des actes violents.
Au printemps 2018, c’est l’université Toulouse Jean-Jaurès qui a été bloquée. Un blocage parmi les plus durs qu’ait connu cette université pourtant habituée des mouvements étudiants.
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Le même schéma que lors des débordements pour Sivens
Si l’on remonte un peu plus loin, à la fin de l’année 2014 et au début de l’année 2015, des manifestations contre le projet de barrage de Sivens, projet finalement abandonné dans le Tarn, avaient déjà occasionné des débordements et de la casse en centre-ville de Toulouse.
Des casseurs s’étaient en effet déjà immiscé dans ces manifestations, détruisant complètement plusieurs vitrines de magasins et de banques à coups de masse.
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À l’époque, les associations anti-barrage réunies au sein du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet avaient pris leur distance par rapport aux violences commises à Toulouse.
Dans le même esprit, ce sont les femmes Gilets Jaunes qui prennent désormais leur distance, tout en réaffirmant leurs revendications à Toulouse.
Les femmes manifestent à part
Fortement représentées dans le mouvement des Gilets Jaunes et ceci depuis le départ, les femmes tentent désormais de se démarquer des violences du samedi en organisant leur défilé le dimanche au centre-ville de Toulouse.
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Cette mobilisation des femmes, plus importante que lors de mouvements sociaux précédents, découle notamment de leur plus grande précarité économique. Des marches de femmes leur permettent de mettre en lumière les problèmes spécifiques traversés par les femmes, chômage important et salaires bas tout en défendant les revendications communes à l’ensemble du mouvement.