« En Syrie, j’étais couturier. Je vivais avec ma femme et ma fille de 6 ans, dans une maison à Alep. J’ai tout perdu. Ma fille pleure tous les jours depuis que je suis parti. Je n’ai pas voulu qu’elles viennent parce que le voyage était trop dangereux. Et j’ai bien fait parce qu’aujourd’hui, elles seraient mortes. Je suis parti mi-août de Syrie avec deux cousins, un sac sur le dos avec le minimum vital. J’ai passé la frontière libanaise par le Nord. Du Liban, j’ai pris un avion pour la Turquie. J’ai ensuite embarqué dans un bateau gonflable, initialement prévu pour 15 personnes maximum. On s’est retrouvés à 45 fugitifs sur l’embarcation. Le moteur a lâché en pleine mer, au large de la Grêce. Nous sommes restés des heures dans l’eau. J’aurais pu me noyer. Des militaires sont arrivés à temps et nous ont porté secours. Nous avons continué notre voyage à travers l’Europe. Arrêtés par la police, en Hongrie, nous avons été traités comme des animaux. Nous dormions à plusieurs, serrés, sur le sol, dans une cellule. Et pendant plusieurs jours, nous n’avons eu à manger que du pain sec.
Un véritable enfer mais qui valait la peine. Car, en Syrie, on risque de se faire tuer à tout instant. Les militaires de Bachar Al-Assad entrent dans les maisons pour prendre les hommes. Sinon, c’est Daech qui nous enrôlent. On a l’obligation de se positionner dans l’un des deux camps. Dans tous les cas, c’est la mort qui nous attend. Moi, je ne voulais pas avoir du sang sur mes mains. Juste vivre ma vie tranquillement, sans faire de politique. Tous ces gens sont des diables, pas des musulmans.
J’ai décidé de partir le jour où un bombardement a éclaté à quelques mètres de moi, alors que je sortais du travail. Il y avait des cadavres partout. C’était terrible. Je ne voulais plus vivre dans la peur.
Alors, je réalise que j’ai eu beaucoup de chance d’être arrivé jusque-là, même si je ne parviens toujours pas à trouver le sommeil. J’ai peur pour ma fille, ma femme, mes parents et mon frère restés là-bas. D’autant que tous les médecins se sont enfouis. Il ne reste plus que des pauvres à Alep.
Mon rêve aujourd’hui, c’est que ma femme et ma fille puissent me rejoindre grâce au regroupement familial. En attendant, je les contacte tous les jours via les réseaux sociaux. Je suis prêt à accepter n’importe quel travail mais la première chose à faire, c’est d’apprendre le français. Pour une intégration qui, je l’espère sera réussie. »