« Des mesures pompiers, qui ne servent qu’à éteindre ponctuellement un incendie ! » c’est ainsi que qualifie Arnaud Rousseau, président de la FDSEA 77, le plan d’urgence du gouvernement, annoncé mercredi 22 juillet par le Premier ministre Manuel Valls. « Les éleveurs sont dans une situation économique catastrophique globale. Nous tirons la sonnette d’alarme depuis plus de 6 mois. Ils vendent à perte, et ne peuvent plus continuer à travailler dans ces conditions », précise Arnaud Rousseau.
Plan d’urgence
Le gouvernement a développé un plan d’urgence en six axes : redressement des prix, restructuration de la dette avec les banques, aide à la promotion à l’exportation (avec un budget de 10 millions d’euros), incitation à la transition énergétique (méthanisation et photovoltaïque), amélioration de la compétitivité, et allégement et report des charges. C’est sur ce dernier point que le gouvernement a misé 600 000 millions d’euros.
« Une opération de communication »
600 millions d’euros qui se décomposent en : 50 millions d’exonération de taxe foncière ( « un outil déjà régulièrement utilisé », rappelle Arnaud Rousseau), 50 millions pour les plus endettés, de prises en charges d’une partie des taux d’intérêts par la FAC (Fonds d’allégement des charges).
Le reste : 500 millions d’euros, « mais pas un sou qui ne coûte à l’État » analyse le président de la FDSEA 77, consiste en fait en un report de charges. Une manière de retenir quelque temps l’épée de Damoclès qui plane sur la tête des éleveurs.
« Annoncer 600 millions d’euros d’aide aux éleveurs, c’est de la pure opération de communication ! » conclu le syndicaliste.
Les éleveurs, en Seine-et-Marne ne sont pas nombreux, une soixantaine de producteurs de lait et autant d’éleveurs bovins. « S’ils n’ont pas participé aux mouvements de blocages de nos collègues, c’est parce que dans notre département, pour s’en sortir, ils ont des exploitations mixtes, en élevage et en cultures. Pas possible pour eux de manquer la moisson » explique Arnaud Rousseau.
La bataille des prix
Mais les attentes sont les mêmes pour les éleveurs Seine-et-Marnais. « Le problème c’est les prix. Il faut une pression sur les transformateurs et distributeurs pour qu’ils respectent des prix qui puissent garantir le travail de l’éleveur. » Et le président de la FDEA 77 de pointer du doigt un mouton noir dans la balance commerciale : l’Europe. « On subit une concurrence de la part de pays européens qui n’ont pas les mêmes charges sociales que nous, et peuvent vendre moins cher que nous. »
Selon le président de la FDSEA 77, les consommateurs ont leur rôle à jouer en consommant des produits français, mais d’autres acteurs sont en jeu : la restauration hors foyer (les cantines scolaires par exemple). « On y trouve souvent de la viande de basse qualité, issus d’élevages étrangers », regrette Arnaud Rousseau.
Marie-Lise CANS
« On perd du chiffre d’affaires tous les ans »
Philippe Dufour, 53 ans, éleveur à Echouboulains depuis plus de 30 ans, est agriculteur en élevage de vaches allaitantes de race « Blonde d’Aquitaine ». Sur sa propriété de 135 hectares, il élève près de 200 bêtes. Si l’élevage représente près de 60% de ses revenus, pour 80% de son temps de travail, il fait aussi de la polyculture, sur 60 ha. « Pour assurer une certaine stabilité », avance-t-il. Car cette grogne du monde agricole, il la comprend pleinement.
Diminution des aides
« Depuis des années, nos problèmes de trésorerie ne cessent d’augmenter, nous contraignant à accroître notre endettement », regrette-t-il. « En même temps, les aides publiques n’ont fait que diminuer. Rien que l’année dernière, avec la baisse de la prime PAC (Politique agricole commune, ndlr), j’ai perdu 8 000 euros de recettes… »
Selon lui, le problème réside en partie dans « les cycles de production qui sont particulièrement longs dans l’élevage ». En effet, il faut près de 18 mois pour qu’un éleveur puisse commercialiser une bête, entre le temps de la reproduction et celui où le veau peut être vendu.
Augmentation des charges
Circuits courts
« Et quand on perd du chiffre d’affaires tous les ans, en parallèle des charges qui, elles, n’ont fait qu’augmenter, on finit par accumuler du déficit. Du coup, on emprunte encore plus, et on s’endette… même si ce n’est qu’une solution à court terme. Mais parce qu’on ne peut pas faire autrement ! »
Pour éviter d’être asphyxié par les conditions dictées par les grandes surfaces, Philippe Dufour vend sa viande en circuit court, les boucheries, et parfois même directement aux particuliers. « Ça permet d’avoir plus de marge, même si c’est une charge de travail colossale en plus », défend l’éleveur.
Manger français
Concernant les propositions du gouvernement, il les regarde avec circonspection, même s’il admet « que c’est un premier pas. Le plus important est de travailler sur la filière viande, et de sensibiliser les consommateurs sur l’importance de manger de la viande française. »
Pierre CHOISNET
« Les industriels ne respectent pas les contrats »
Le département compte une soixantaine de producteurs. Si les deux AOC Brie de Melun et Brie de Meaux apportent une barrière de protection, les industriels laitiers sont toujours maîtres des prix.
« La base de notre travail, c’est le prix auquel on nous achète le lait. Or, on subit de plein fouet une baisse structurelle du prix à l’achat liée à une surproduction mondiale » explique Jean-Claude Pette, président du syndicat des producteurs de lait de Seine-et-Marne.
Baisse de 20 %
Selon le producteur seine-et-marnais, les statistiques prévoient une baisse du prix du lait de 20 %, jusqu’en 2016.
Aujourd’hui, le prix de la tonne de lait coûte en moyenne 340 € à la production alors qu’il est rémunéré en moyenne 300 € la tonne à l’achat. « Ce qui fait une perte de revenu d’environ 25 000 € annuelle pour une production de 5 tonnes, alors que la production demande un investissement annuel de 500 000 €. Aujourd’hui, je viens d’emprunter 60 000 € et cela fait 3 mois que je ne me paye plus, pour faire tourner mon entreprise avec mes trois employés. »
Allégement des charges
Les annonces du gouvernement, constituent pour l’agriculteur, « un simple report d’échéance des dettes. La seule vraie aide annoncée est celle de la FAC (le Fonds d’allégement des charges), qui permet de prendre en charge une partie des intérêts sur les prêts bancaires. Sauf que pour y être éligible, il faut tirer 75 % de son chiffre d’affaires de la viande ou du lait, » précise-t-il.
500 €
En Seine-et-Marne, cela concerne potentiellement très peu d’éleveurs, qui sont quasiment tous en agriculture mixte. « Mais ça ne sera jamais qu’une aide d’environ 500 € », calcule Jean-Claude Pette. Quant à l’exonération foncière : « la majorité des agriculteurs du département sont en fermage (locataires) .. » Par ailleurs, le gouvernement préconise la contractualisation, « mais dans le lait on connaît : les industriels ne respectent pas les contrats, et font varier le prix en fonction du marché mondial. »
M-L. C.