Dès que l’on rentre chez Catherine et Didier Cayssials, c’est une étrange sensation de mal de mer qui prédomine. La désagréable impression d’être désorienté. Et il y a de quoi. Le sol, complètement fissuré et tordu, semble se dérober sous nos pieds. Les dalles du carrelage sont craquelées. La charpente et les murs se déchaussent, s’affaissent. Les pavés du jardin sont tous décalés, le terrain s’enfonce. Rien n’est d’équerre, droit. Comme si un mini-tremblement de terre était passé par-là.
Ce cauchemar, le couple de cinquantenaire le vit depuis plus de 20 ans. C’est précisément en septembre 1991 que le calvaire débute. « Nous sommes passés par une société spécialisée en urbanisme pour construire notre maison, raconte Catherine, adjointe technique territoriale à Fontainebleau, des trémolos dans la voix. C’est elle qui s’est également chargée de trouver le terrain sur lequel se situe notre habitation. Les documents que cette société et la mairie de l’époque nous ont fait signer stipulaient que sur ce dernier reposait une ancienne carrière. Mais voyant que le carrelage commençait à se fissurer pratiquement trois mois après notre installation, j’ai alerté la Direction Régionale et Interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE), qui me certifie qu’aucune carrière n’avait été recensée sur notre terrain. C’est là que le doute a commencé à s’installer sur la viabilité de la construction. »
La garantie décennale est activée à deux reprises pour des travaux de remise en état avec pose de buses de puits en béton quadrillant les fondations de la maison pour tenter de la stabiliser, en 92 et 98, mais rien n’y fait. C’est même de pire en pire.
Décharge sauvage
Voyant que la situation ne pouvait s’améliorer, Catherine commence à mener sa propre enquête en 2011 auprès d’amis et voisins, qui lui attestent que sa maison est construite sur une ancienne décharge sauvage. Un trou de 7 mètres de profondeur, sous la maison, rempli pendant au moins une dizaine d’années de détritus toxiques, ferraille, poubelles et autres carcasses de voitures. Les déchets, qui se décomposent au fil des années, rendent le terrain plus qu’instable. Le couple porte alors plainte contre la société d’urbanisme, qui entre-temps à fait faillite, et l’équipe municipale d’alors. En 2012, le procureur classe le dossier sans suite. Récemment, la nouvelle équipe municipale de Villemaréchal, désireuse de venir en aide au couple, se saisit du dossier, supplée par les services de la députée-maire (UMP) de Nemours Valérie Lacroute. Mais en vain, le recours auprès de la préfecture pour obtenir une reconnaissance de catastrophe naturelle – glissement de terrain – ayant été jugé irrecevable.
« Ce qui nous sauverait, c’est une indemnisation de l’Etat qui permettrait de respirer financièrement et d’envisager de déménager, explique Christophe, agent de sécurité incendie à la Ville de Créteil. Car notre bien est invendable. Il n’est absolument pas question pour nous de mettre en œuvre une procédure de péril. Cela reviendrait à partir de chez nous alors que nous n’avons pas fini de rembourser le crédit, payer une location, et avoir deux options : mettre encore de notre poche pour des travaux qui n’amélioreront pas la situation, ou bien raser notre maison. Nous sommes sans solution. »
« Plus de raison de vivre »
Une impasse que le couple vit extrêmement mal. « Je suis sous traitement antidépresseur, anxiolytique, et je prends des somnifères, sanglote Catherine. Mon travail en subit les conséquences ainsi que mes collègues. Avec mon mari, nous nous disputons sans arrêt. Je n’en peux plus. Si ça ne s’améliore pas, je me fous en l’air. Je n’ai plus de raison de vivre, j’en ai marre. Tout le monde se renvoie la balle. Humainement, est-il normal de laisser des gens comme nous dans un tel malheur ? Nous avons tout perdu. Et nous vivons dans un endroit dangereux. L’autre jour, j’ai failli me retrouver coincée par une porte de placard qui s’était effondrée. Et j’ai manqué plus d’une fois de me couper en marchant sur les dalles de carrelages craquelées. Notre rêve, c’était de vivre à la montagne une fois à la retraite, mais ça n’est plus possible. Je veux que notre histoire fasse réfléchir les entreprises d’urbanisme et les maires des communes. Que tout ce monde prenne conscience que l’on ne peut pas faire n’importe quoi. Et que cela serve pour sensibiliser les gens autour de notre histoire. »