« Vous allez fermer ? Vous allez me faire ça ? Je n’arrive pas à y croire… » À l’entrée de la librairie Marion, cette cliente, comme tant d’autres avant elle, reste incrédule. Elle vient de lire, sur la devanture de l’enseigne, les mots inscrits au marqueur faisant référence à la sentence du tribunal de commerce de Melun prononcée le 20 avril dernier : « Liquidation totale du stock : Papeterie, – 50 %, Librairie, -30 %. Fermeture définitive le 15 mai. »
Dettes
À la caisse, Frédéric Marion, co-gérant avec sa sœur, Anne, a les traits tirés. Installée à Nemours au 48 rue Gauthier Ier depuis 1977, la librairie, qui compte quatre salariés, était en grande difficulté financière depuis bien longtemps. « Cela fait bientôt six ans que nous avons commencé à toucher le fond, résume Frédéric Marion. Nous avons perdu environ 30 % de notre chiffre d’affaires depuis la crise de 2008, la baisse du pouvoir d’achat et l’avènement d’Internet. Désormais, les gens ne veulent plus se déplacer pour aller chez le libraire ou acheter de la papeterie. Tous les libraires indépendants en ont souffert, et en souffrent encore. Mais récemment, notre situation a viré à la catastrophe. Ça ne ressemblait plus à grand-chose. Nous avons dû licencier du personnel, piocher dans la trésorerie, bazarder notre stock pour survivre. Le problème, c’est que lorsque les étagères sont vides, les clients n’ont plus aucune raison de venir car ils ne trouvent pas ce qu’ils veulent. Nous nous sommes plantés pour la dernière rentrée scolaire et à Noël. À chaque fois que l’on remettait au pot, c’était à fonds perdus, pour payer l’Ursaff. Nous savions que nous allions droit dans le mur, ce n’était qu’une question de temps. Et nous avons tenu tant que nous le pouvions. »
Avec une dette s’élevant à près de 200 000 €, Frédéric Marion a pourtant eu bon espoir de trouver un repreneur. Mais il fut de courte durée. « En décembre, un couple d’Essionniens en reconversion professionnelle, avec pas mal de moyens pour redresser la barre et embaucher, est venu visiter la boutique, explique-t-il. Ils étaient vraiment intéressés, mais un mois plus tard, lorsqu’ils ont appris qu’une Fnac allait ouvrir en périphérie de la ville au futur centre commercial des Coquelicots, ils se sont désistés. Ce que je peux comprendre, car avec l’arrivée d’une telle enseigne sur le territoire, le fonds de commerce d’une librairie n’a plus aucune valeur dans le centre-ville de Nemours. »
Propriétaire des murs, d’une surface de plus de 300 m2, le libraire doit désormais trouver un acquéreur. « Si l’on réussit à vendre dans les prix actuels du marché de l’immobilier, on pourrait éponger notre passif, mais ça, c’est une autre histoire », commente l’homme de 45 ans, presque désabusé.
« Tout doit disparaître »
Depuis l’annonce de la liquidation judiciaire, c’est donc un ballet incessant de clients qui défile à la librairie, dans une ambiance particulière. On y vient pour profiter des réductions sur les livres scolaires, les romans, les carnets, ou encore les stylos. Pour aller aux nouvelles aussi. Faire part de son étonnement. Réconforter, voir si les Marion et les deux autres employés tiennent le coup. « Certains viennent nous voir la larme à l’œil nous dire qu’ils connaissaient la librairie parce que leurs parents s’y rendaient pour acheter des livres, raconte Frédéric Marion. D’autres, que je ne vois jamais en boutique, me demandent ce qu’ils vont devenir sans nous. À ceux-là, j’ai envie de dire qu’il fallait venir nous voir il y a bien longtemps et plus souvent avant que le mal ne se produise. »
La fermeture définitive à venir est quoi qu’il en soit une mauvaise nouvelle pour le commerce en centre-ville, en proie à pas mal de problématiques, notamment rue Gauthier Ier, la plus commerçante après la rue de Paris, et où Frédéric Marion a déjà compté « environ une demi-douzaine de rideaux fermés » ces derniers temps.
« Cette fermeture est vraiment dommage, commente la députée-maire UMP Valérie Lacroute. La librairie Marion était un partenaire privilégié de la Ville, notamment via la bibliothèque. J’espérais qu’il puisse encore résister, mais comme partout en France, les libraires indépendants ont pâti des commandes par Internet, avec l’émergence d’Amazon notamment. »
L’après ? Frédéric Marion n’y pense pas. « J’ai peut-être quelques pistes, mais ça reste encore flou. Pour l’instant, je m’inquiète de savoir si je vais avoir droit au chômage. Comme je suis gérant-salarié, je devrais le toucher, en principe. Mais je suis dans l’expectative. Et j’ai encore du mal à me dire que nous allons bientôt fermer. Dans cette affaire, mon seul maigre lot de consolation, c’est de savoir qu’en octobre, la Fnac ouvrira et ne laissera pas les Nemouriens orphelins. Car une ville sans librairie perd un peu de son âme. »