Plus qu’une passion
Franck Perrault : L’association Octogone Académie existe depuis 2008, et s’est installée en 2011 à Nemours. On y pratique le MMA, à savoir Mixed Martial Arts. C’est un mélange de nombreux sports de combats comme la boxe anglaise, thaïlandaise, la lutte, le judo, le jiu-jitsu. Il faut savoir maîtriser toutes les particularités de cette discipline qui mêlent phases de transition entre combat debout à distance, corps-à-corps debout et lutte au sol. Les combats se déroulent dans une cage grillagée en forme d’octogone, et il est possible de remporter la confrontation par K. O., soumission, arrêt de l’arbitre ou décision unanime ou partagée. Ceux qui pratiquent le MMA peuvent être considérés comme des combattants ultimes. D’ailleurs, il faut savoir que Bruce Lee en fut l’un des pionniers. Il faut être extrêmement polyvalent. Un combat ne ressemble à aucun autre. On peut très bien tomber sur un adepte des coups portés à distance type kickboxer, ou bien sur un féru de petits espaces qui profitera de la moindre occasion pour engager la lutte au sol. Chacun à son style bien à lui. Et doit cultiver son intelligence tactique pour ne pas y laisser des plumes, c’est la meilleure arme d’un combattant, plus que sa force physique.
Ce sport est passionnant
Mamadou Bathily : Ce qui m’attire dans le MMA, c’est ce côté « no limit », qui consiste à s’adapter au style de l’adversaire au cours d’un duel qui comporte d’infinies variétés. De base, je suis un « striker » qui use de boxes pieds-poings, mais je me perfectionne dans tous les autres domaines. Il le faut car si je tombe sur un bon judoka qui maîtrise le combat au sol, je ne vais pas avoir la tâche facile. Il suffit qu’il m’attrape, me fasse une clé de bras, de genou ou un étranglement et je perds par soumission. C’est un défi permanent, qui oblige à s’entraîner comme un fou, à aller au bout de soi-même, et à faire davantage fonctionner son cerveau. Ce sport est passionnant.
Un sport interdit en France
F. P. : En France, ce qui ne passe pas aux yeux du ministère des Sports, c’est la frappe au sol sur l’adversaire, jugée trop violente. C’est un faux problème. Il n’y a que chez nous, avec la Norvège, l’État de New York et la Thaïlande, que le MMA est interdit. La réalité, c’est que les fédérations des autres sports de combat, comme le judo, voient que le phénomène s’amplifie dans le monde et font pression pour étouffer son émergence dans l’œuf. Il y a beaucoup d’argent en jeu. Le gâteau est trop appétissant pour le partager. Chez nous, si les licenciés des autres arts martiaux filaient vers le MMA, ils seraient environ 10 000, peut-être même plus. Cela entraînerait des pertes de recettes mais aussi de subventions importantes pour les fédérations touchées. Du coup, les lobbies se mettent en place pour créer démocratiser le pancrace, une version édulcorée du MMA, avec les frappes au sol en moins. Le MMA en perd toute sa saveur, et un nivellement par le bas s’opère. Il y a également un bras de fer entre la France et l’Ultimate Fighting Championship, la ligue américaine de MMA qui pèse près de deux milliards de dollars. Notre pays, ses instances et ses fédérations comme je l’ai dit précédemment, ont peur de se faire engloutir et de perdre la maîtrise d’un sport qu’ils veulent contrôler. Du coup, pour vivre notre passion à fond, nous sommes obligés de nous expatrier. Certains le font le temps d’un combat. D’autres partent carrément à l’aventure pour tenter de percer, aux États-Unis par exemple.
Pas des sauvages, ni des abrutis
M. B. : C’est une situation tellement complexe, le MMA en France… Pour combattre légalement, je dois effectuer des déplacements plus ou moins longs, en Europe ou ailleurs dans le monde. En tant que combattant français, j’aimerais être reconnu dans mon pays. Les arguments avancés par le ministère des Sports et tous les détracteurs du MMA ne valent rien. Les frappes au sol, plus dangereuses que dans d’autres disciplines ? Seul quelqu’un qui n’a jamais pratiqué un sport de combat peut avancer ce type de propos, et le problème, c’est qu’ils sont nombreux dans nos instances dirigeantes. À titre de comparaison, une série de frappes au sol en MMA fera beaucoup moins de dégâts qu’un coup de coude d’un pratiquant de boxe thaïlandaise ou qu’un direct du droit de Jean-Marc Mormeck. Parfois, au karaté, les mecs se déboîtent beaucoup plus que nous ! Il faut savoir que les coups portés au sol lorsque l’on combat à plat ventre, puisque c’est de cela dont il s’agit, sont 60 % moins puissants que des coups portés debout. C’est donc un faux débat. L’autre blague de ceux qui se disent contre le MMA, c’est de dire que combattre en cage est humiliant et inconscient pour l’intégrité physique. Sauf qu’on combat en cage pour des raisons de sécurité ! Prenons l’exemple du pancrace, où les combats se déroulent sur un ring. Et bien, il peut arriver à plusieurs reprises que dans le feu de l’action, les combattants passent par-dessus les cordes et se retrouvent éjectés sur le public ou sur le jury, avec risques de blessures. Ce n’est pas dangereux ça peut-être ? Au moins la cage permet aux spectateurs de ne pas se sentir en danger. Quoi qu’il en soit, pour moi, l’interdiction du MMA en France est une question de gros sous. Nous ne sommes pas des sauvages, ni des abrutis. Juste des amoureux de sports de combats qui veulent pouvoir pratiquer leur passion sans obstacle.
Un vrai phénomène de société
Quel avenir pour le MMA ?
F. P. : Même tabou, le MMA ne cesse de voir sa côte de popularité augmenter, je ne me fais donc pas trop de soucis pour lui. Je le vois bien en termes de demande. Les jeunes, les vieux, et même les filles affluent à nos cours. Il y a de plus en plus d’amateurs de MMA, de tous bords sociaux. Oui, on peut dire que c’est un vrai phénomène de société. Le MMA est un sport d’avenir, aux vertus pédagogiques. Il faut le légaliser pour ensuite l’encadrer de la meilleure des manières. Car beaucoup, pour tenter d’échapper à cette prohibition, combattent clandestinement, pas souvent dans les règles de l’art avec parfois du dopage. Et c’est là que ça devient dangereux.
M. B. : J’espère que dans les années qui viendront, le MMA aura enfin été reconnu en France. Je veux bien croire qu’il y a de la place pour tous les arts martiaux dans mon pays. Il ne sera plus possible d’évoluer continuellement dans l’ombre pour nous, pratiquants.