« Les animaux sont nos rayons de soleil dans la brume quotidienne de l’incarcération ». Ces mots sont de David, un détenu de la maison d’arrêt de Strasbourg. Ils servent à décrire l’importance qu’a pris la médiation animale dans ses journées d’emprisonnement. « Cela donne du sens à ma vie », affirme de son côté Virginie, une autre détenue.
À l’origine de ce projet novateur et ambitieux, il y a Patricia Arnoux, psychothérapeute et comportementaliste, par ailleurs membre de l’association Evi’dence, qui intervient chaque semaine, depuis six ans, auprès des détenus de cette prison de l’Est de la France. Une initiative qui a inspiré d’autres établissements pénitentiaires, à Rennes notamment, et qui continue de faire des adeptes, bien que n’étant pas inscrit dans les lignes budgétaires du ministère de la Justice.
Selon nos informations, la prison de Réau réfléchit actuellement aux moyens à mettre en œuvre pour introduire la médiation animale entre ses murs. Contactée, Isabelle Brizard, directrice adjointe, confirme avoir contacté l’association Evi’dence, mais ajoute qu’aucune décision finale n’a pour le moment été prise. Les recherches de financement continuent.
« Facilité la réintégration dans la vie civile »
Le principe est simple et l’approche se veut thérapeutique. « L’objectif est de contrer l’isolement des détenus, argumente la psychothérapeute. Nous ne cherchons pas à juger ni à excuser quoi que ce soit. Ce n’est pas notre travail. Nous souhaitons simplement les aider à reprendre confiance en eux. Cela apaise les tensions en prison et facilite leur réintégration dans la vie civile une fois leur peine purgée. »
Deux formules sont proposées par l’association. La première revêt l’aspect de simples ateliers. « Je viens avec un chien et deux autres espèces – chat, furet, lapin, etc. – et nous parlons ensemble des caractéristiques de chaque animal », explique-t-elle. La magie opère alors et les langues se délient. « Les animaux sont vraiment des facilitateurs de parole », a-t-elle pu constater depuis ces six dernières années. La deuxième formule va plus loin : des petits animaux sont installés dans des locaux de l’établissement. Les détenus sélectionnés deviennent alors des référents et chacun a la charge d’une de ces bêtes. « Ils doivent les nourrir tous les jours, prendre soin d’eux. Il y a un lien très fort qui s’installe et ça aide à les responsabiliser. Ils se sentent utiles. »
« J’ai simplement la conviction que les Hommes gardent toujours au fond d’eux une part d’humanité qui ne demande qu’à s’exprimer… Je pense aussi que les animaux, par leur seule présence, peuvent catalyser cette expression. »
Patricia Arnoux, psychothérapeute et comportementaliste
Efficacité de cette action
« Cette histoire a débuté en septembre 2008, se souvient Patricia Arnoux. À l’époque, j’intervenais auprès des mineurs incarcérés. Nous avons été confrontés à deux suicides qui ont engendré un climat extrêmement tendu dans l’enceinte de l’établissement pénitentiaire. J’ai alors eu l’idée de lier mes deux casquettes, persuadée que les animaux pouvaient réussir là où toutes les autres formes de médiations échouaient. »
Dans la foulée, l’administration pénitentiaire de Strasbourg lui donne le feu vert pour tester ce dispositif alors inédit en France. « À l’époque, nous marchions sur des œufs, le milieu carcéral étant particulièrement sensible », confie Patricia Arnoux. Très vite, pourtant, la médiation animale dans la prison fait son chemin ; du quartier des mineurs, les animaux passeront ensuite à celui des femmes, puis aux détenus incarcérés dans l’aile psychiatrique et enfin aux hommes. Les résultats, quant à eux, ne tardent pas à confirmer le bien fondé et l’efficacité de cette action. « La magie a opéré, les visages s’éclairent au passage de Patricia et de ses animaux : chiens, chats, chinchillas, tourterelles, rats entrent en prison, suscitent l’étonnement, l’émotion, le plaisir », écrit Bénédicte Brunelle, ancienne directrice de la prison de Strasbourg, dans le livre « Des animaux pour rester des hommes », qui relate cette aventure. Et de conclure : « Au-delà des questionnements, les tensions s’apaisent, les personnes se rencontrent, les sentiments s’expriment et permettent à la parole d’être libérée, la confiance en soi redevient possible. »
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INTERVIEW – Claire (41 ans), ancienne détenue
« Les animaux ne nous jugent pas »
Quand avez-vous pu profiter du dispositif de médiation animal en prison ?
J’ai été incarcérée à la prison de Strasbourg pendant huit mois, de mars à novembre 2011 pour des faits de vol à l’étalage. Quand je suis arrivée là-bas, ça a vraiment été un choc. J’étais perdue. Très vite, mon objectif, comme beaucoup de détenus, a été de multiplier les activités pour passer le moins de temps possible dans ma cellule. C’est comme cela que j’ai rencontré Patricia. Ma décision a vite été prise : j’adore les animaux, j’ai donc postulé pour m’occuper quotidiennement, une heure par jour, d’un lapin. Et j’ai eu la chance d’être acceptée.
Qu’est ce que ça a représenté pour vous ?
Un bol d’air. Un souffle de vie. Une forme d’évasion. À l’époque, j’avais des problèmes de drogues et, aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte à quel point l’encadrement pénitentiaire, le sevrage et le fait de m’occuper d’un petit animal dont j’avais la charge m’ont aidé à m’en sortir. Ce n’est pas rien : ça nous responsabilise ! Alors qu’en prison on se sent vite inutile, notre pire ennemi étant le temps qu’il faut combler, s’occuper d’un petit être vivant nous redonne un rôle.
Pensez-vous que ce soit la solution pour aider les détenus à communiquer et à s’ouvrir ?
Il est évident que ce dispositif a fait ses preuves. J’ai pu constater les bienfaits que ça a eu sur moi, mais aussi sur les autres femmes incarcérées qui y participaient. On tisse un lien très fort avec nos animaux qui deviennent presque des confidents. Eux, ne nous jugent pas. Et rien que ça, c’est très important.