« On n’a jamais vu ça. » Cette phrase, tous les Nemouriens l’ont au moins prononcée une fois ces derniers jours. Et il y a de quoi : mercredi 1er juin, Nemours a connu la plus forte crue de son histoire.
Une ville coupée en deux par les eaux. Nemours, 12 824 habitants, a été littéralement noyée par la crue exceptionnelle du Loing. C’est le centre-ville, où vivent environ 4 000 personnes, qui a été le plus sévèrement impacté : un millier de foyers, près de 200 commerces ainsi que de nombreux édifices publics ont été touchés par les débordements de la rivière.
Évacuation totale
Dès le lundi 30 mai au soir, la députée-maire (LR) de Nemours Valérie Lacroute, tenue au courant par Vigicrues et la préfecture de Seine-et-Marne, avait, en compagnie de ses élus, exhorté ses administrés à coup de voitures sono et de porte-à-porte à se méfier du risque important d’inondation avec la crue du Loing.
Mais le mercredi 1er juin, au petit matin, alors que le département venait de passer en vigilance rouge inondations, le débit de cet affluent de la Seine s’est accéléré pour encercler le cœur historique de la ville et prendre au piège commerçants et habitants. Si de nombreux Nemouriens eurent le temps de plier bagages, dans certaines rues, le Loing atteignait déjà plus d’un mètre de haut. De quoi obliger les services municipaux à aller chercher les personnes âgées, à mobilité réduite ou avec des enfants, et à ravitailler en bouteilles d’eau ceux qui n’avaient pas pu ou voulu quitter leur habitation.
Et c’est à 13 h, le Loing a atteint 4,29 m de hauteur, dépassant le record de la crue du 20 janvier 1910, à savoir 4,25 m. Quasiment dans la foulée, Valérie Lacroute décida d’ordonner l’évacuation totale du centre-ville, dès lors transformé en petite Venise avec toutes ces embarcations emmenées par des sapeurs-pompiers, membres des clubs de canoë-kayak locaux, employés de la Ville ou tout simplement bénévoles anonymes venus filer un coup de main.
Scènes apocalyptiques
Mais le pire restait à venir, avec un pic de 4,63 m atteint jeudi 2 juin à minuit. C’est ce jour-là, aux alentours de 8 h du matin que le Premier ministre, Manuel Valls, a fait son apparition à Nemours.
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Il a, comme Ségolène Royal la veille, constaté une « immense solidarité » sur la commune, salué « tous les services de l’État, de la Ville de Nemours, pompiers, policiers, gendarmes et bénévoles » et surtout, il a annoncé la mise en place d’un « fonds exceptionnel de soutien » pour les collectivités territoriales touchées par les inondations.
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« Toutes les procédures de catastrophe naturelle doivent être engagées pour que dès le Conseil des ministres de mercredi prochain, nous puissions les mettre en œuvre », a également déclaré le Premier ministre.
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En se rendant sur le théâtre de la zone inondée, le spectacle saisit d’effroi d’emblée. Même à l’abri de l’eau grâce à une combinaison de pêche prêtée par un habitant, impossible de ne pas rester bouche bée devant ces scènes apocalyptiques. Rue de Paris, côté gare SNCF, le Loing fait son apparition à partir du magasin Hydrobiomat. Un membre de l’unité mobile de premiers secours prévient : « Attention, ça risque d’être assez profond. »
Il faut quand même y aller, histoire de se dire que ce à quoi l’on assiste est bien réel : une ville à moitié sous l’eau avec un tas de voitures flottantes.
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Quelques mètres franchis suffisent pour croiser un premier habitant, Stéphane, accoudé à sa fenêtre de son appartement, au premier étage, juste en haut de l’agence Macif. « Impossible de sortir de mon immeuble, il y a plein d’eau dans les escaliers, témoigne le trentenaire. L’électricité et l’eau potable ont été coupées. C’est une catastrophe affolante. Je ne sais pas encore quand je vais sortir. Ma compagne a été évacuée la veille, mais je suis resté pour mes deux chats. »
Dans l’immeuble d’en face, situé entre la rue de Paris et la rue de la Brunette, la silhouette de Zacharie apparaît depuis un balcon. « Je suis enfermé chez moi depuis mercredi matin avec ma femme et mon enfant de deux ans, explique-t-il. On est totalement pris au piège. L’eau est montée à une vitesse impressionnante. Le seul manque que l’on a, c’est celui de l’électricité, même si nous commençons à puiser dans nos réserves d’eau potable. »
Pratique ma remorque !
La discussion est interrompue par le bruit du moteur d’un tracteur à remorque, conduit par Franck, qui fait la navette pour emmener les habitants sinistrés d’un endroit à un autre.
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Il a déjà effectué une trentaine d’allers-retours depuis mercredi. « C’est sans me poser de question que je suis venu aider les gens, par solidarité, lance l’agriculteur. Avec les secours, nous nous sommes bien coordonnés : ils vont chercher les Nemouriens en bateau dans des rues qui me sont inaccessibles pour les déposer dans ma remorque, puis, je me rends place de la République où les sinistrés sont pris en charge pour être emmenés au gymnase des Cherelles. Je peux transporter jusqu’à 30 personnes, donc elle est bien pratique, ma remorque ! »
Justement, Stephan et Lionel en descendent. Ils sont venus constater les dégâts à l’agence Maisons France Confort, où le premier travaille. L’eau y monte jusqu’aux genoux. « On va voir ce que l’on peut encore sauver, parce que tout flotte à l’intérieur, lance un brin dégoûté Stephan, en short de bain et avec un sac-poubelle à la main pour récupérer les dossiers clients qui ont été épargnés. Pour remettre en état correctement l’agence, il faudrait 15 000 € minimum. On attend ce que va dire l’assurance… »
La mairie inondée
Dans la rue, à bord de son kayak, c’est Laurent qui s’annonce. Il se rend au prochain poste de pompier, là où l’eau affiche seulement quelques centimètres de hauteur, juste après le square Pasteur. « J’étais au travail ce matin mais quand j’ai vu l’ampleur de la crue, j’ai téléphoné aux services municipaux pour savoir s’il y avait encore besoin de bateau, et me voilà, détaille cet habitant de Vulaines-sur-Seine. Il reste encore des gens à évacuer. Les pompiers doivent m’indiquer où. La journée va être encore longue. »
Au milieu de la rue de Paris, petit détour par la mairie et la police municipale, elles aussi inondées. En s’enfonçant rue du Docteur-Chopy, l’odeur nauséabonde des nappes de fioul présente depuis le début de la crue se fait davantage sentir. Décision prise de rebrousser chemin car rue Mirabeau, l’eau est à 1,80 m de hauteur, impossible d’aller plus loin.
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Belle solidarité
Puis, crochet par la rue Gautier 1er et la boutique de home staging Domus Insulae, inaugurée il y a à peine quelques semaines mais qui n’a pas été épargnée par le Loing.
Enfin, c’est l’arrivée à l’autre bout de la rue de Paris, à côté de l’église Saint Jean-Baptiste, où une sorte de quai s’est improvisé.
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Les naufragés y accostent, comme Isabelle, qui habite en plein centre-ville de Nemours, sauvée des eaux par Catherine, une Saint-Pierroise « Je n’avais pas assez de jours de vivres pour pouvoir tenir plus longtemps, indique la première. Il y a vraiment une belle solidarité, personne n’est laissé de côté. »
Une fois sur la terre ferme, les sinistrés sont emmenés en bus à différents lieux d’hébergements d’urgence, comme le gymnase des Cherelles.
Là-bas, Nicole, 82 ans et évacuée de son appartement du premier étage de la rue de la Bredauche, a pu y manger, se reposer et bénéficier de vêtements propres. Et ce comme plusieurs centaines d’autres Nemouriens en détresse qui ont vu les autres habitants, commerçants ou particuliers, mettre la main à la patte pour faire des dons en tout genre : nourritures, habits, couvertures, ou encore produits d’hygiène. « Même si ce que j’ai vécu a été bouleversant, l’organisation des secours et des bénévoles a été impeccable, déclare-t-elle avec le sourire. Nemours peut être fier de ses habitants et de la belle solidarité qui a émergé. »
Désormais à Nemours, la décrue a laissé place au nettoyage des habitations et des commerces. Pour Valérie Lacroute, « la vie ne reprendra pas un cours normal avant de longues semaines, voire de longs mois. »